Stephan Bösch
Un sang de nomade coule dans les veines d’Eveline Hauser. Elle a traversé la Suisse depuis Entlebuch avec ses chèvres porteuses. Après huit semaines, elle a atteint le Val Medel et a succombé à sa beauté. Elle a installé sa yourte et partage depuis la beauté des trekkings avec des chèvres.
Eveline, tu adores les chèvres et la montagne. Comment en es-tu arrivée là?
Avec ma première chèvre, Cora, que j’ai reçue en cadeau dans le Valais, je suis allée sur l’Alp Puzzetta. Là, Flurin, un bouc d’une autre alpe, nous a rejoints. Il avait un abcès au menton et j’ai dû le soigner. Il s’est donc laissé apprivoiser et est ainsi devenu mon premier bouc porteur. Il m’accompagnait partout, par exemple, lorsque j’allais chercher mon ami de l’époque à la station de téléphérique de Goppisberg. Il me suivait partout. C’est ainsi que l’histoire des chèvres porteuses a démarré.
Avec ton partenaire de l’époque, tu es partie d’Entlebuch. En huit semaines, tu as parcouru la moitié de la Suisse avec cinq chèvres porteuses. À Medel, vous avez installé votre yourte…
Dominik et moi avions trouvé une étable pour nos animaux à Medel. Comme nous n’avions pas les moyens d’acheter une maison, nous avons d’abord installé notre tipi à côté de nos étables, puis notre yourte, que nous prenions dans le pendulaire. En hiver, nous vivions à Soliva, un petit hameau à 1500 mètres d’altitude. Au printemps, nous vivions à Acla, près de Medel, 200 mètres plus bas.
Vous avez vécu sept hivers dans la yourte?
Oui. Et cette période me manque un peu. C’était super! Plus tard, nous avons acheté une vieille maison en bois à Soliva. Une maison façonnée à la scie où j’habite maintenant quand je ne suis pas à l’alpage avec mes chèvres.
Pendant un certain temps, tu ne pouvais pas aller à l’alpage?
Non. Dominik et moi avons repris la ferme Pali à Medel. D’une bonne douzaine de chèvres porteuses, nous sommes passés à près de septante: cinquante mères, quatre boucs de monte et une douzaine de boucs porteurs, avec lesquels nous proposions des trekkings à la clientèle. Lorsque nous avons eu l’occasion de reprendre une exploitation de vaches, nous avons saisi l’opportunité. Nous avons alors produit de la viande, du fromage et du lait de chèvre, mais aussi du bœuf Natura.
Puis il y a eu un coup du sort…
Oui. Tôt un matin, je regardais par la fenêtre et nos étables étaient en feu! J’ai pensé que je faisais un cauchemar, j’ai fermé les yeux, je les ai rouverts. Effectivement: des flammes et une horrible fumée noire s’élevaient de derrière l’étable. Notre bergerie en plein air et le hall de repos avaient brûlé jusqu’aux fondations.
La foudre?
Un incendie de câble d’une machine agricole. Par miracle, et grâce à l’intervention courageuse des pompiers, la bergerie principale, à cinq mètres de là, a été épargnée. Et nous avons eu de la chance: tous les animaux étaient déjà en pâture. Ils s’en sont sortis indemnes.
Plus tard, Dominik et toi vous êtes séparés. Tu as donc dû te réinventer?
Pendant un temps, j’ai continué à travailler seule dans la ferme. Dominik est revenu de la ville pendant l’été et nous avons continué à travailler ensemble, comme des amis. Vers l’automne, j’ai dû prendre une décision: reprendre la ferme ou partir vers de nouveaux horizons? Je ne voulais plus continuer… J’ai rapidement trouvé un successeur pour la ferme.
Tu as pu tout lâcher?
C’était un nouveau départ et en même temps une nouvelle chance. Je sais très bien lâcher prise. Je suis ancrée dans le présent. C’est très précieux, cela rend les choses beaucoup plus simples. Je n’ai pas non plus peur de perdre quelque chose. J’ai tout simplement confiance: tout va bien se passer. Et tout se passe toujours bien.
Maintenant tu es là à 100% pour tes chèvres?
Oui. Sur l’alpage de Madris, je peux enfin retrouver mes chèvres bien-aimées. Avec mes trois chiens de berger, nous gardons 330 chèvres Capra Grigia appartenant à plusieurs propriétaires. J’adore être dehors toute la journée, assise sur un rocher à observer les chèvres. C’est la liberté à l’état pur!
Tu te laisses porter par la journée?
J’ai des tâches claires: sortir les chèvres de leur enclos le matin, les conduire au pâturage, les garder, veiller à ce que tous les animaux se portent bien, les soigner s’ils sont malades et les rentrer le soir.
Tu es une rebelle?
J’aime l’action! Et j’aime tout ce qui est un peu différent. Quand j’étais petite, je fomentais souvent des choses: «Alors, allez, on va dans la forêt et on y passe la nuit!». Mais l’école était un enfer pour moi. Les math aussi… très mauvaise, vraiment! J’ai même redoublé ma deuxième année. Mais dès que je revenais de l’école, je mettais ma veste sale, je sortais et la vie reprenait son cours! (Rires) Les seules choses qui me tenaient en haleine à l’école, c’étaient les cours de sport, de dessin et de travaux manuels. Cela me fortifiait…
Voulais-tu travailler comme agricultrice quand tu étais enfant?
Oui, effectivement. Mais j’ai d’abord pris une autre voie. J’ai suivi l’école de création Farbmühle de Lucerne et j’ai fait un apprentissage comme couturière. Ensuite, j’ai suivi l’école d’agriculture au couvent de Fahr, près d’Unterengstringen. Et avec sœur Béatrice, j’allais souvent et volontiers voir les moutons. C’était super!
En route avec des chèvres dans le Val Medel: grâce à leur caractère curieux, les boucs porteurs, apprivoisés et câlins, garantissent une expérience divertissante et réconfortante. En cours de route, les guides de trekking, Eveline Hauser et Livia Werder, se feront un plaisir d’en dire plus sur les chèvres, la vallée et les histoires qui l’ont façonnée.
Ensuite, il y a eu les années de compagnonnage?
Après ma formation, j’ai fait toutes sortes de choses: j’ai travaillé comme aide-menuisière et comme peintre. Dans le Goppisberg valaisan, j’ai aidé une famille d’agriculteurs qui avait beaucoup d’animaux: environ 180 brebis, 6 chèvres, 2 chevaux, 1 âne et 2 poneys. C’était très instructif pour moi. C’est aussi cette famille qui m’a donné ma première chèvre, Cora.
Les montagnes t’ont aussi attirée?
En été, j’allais aider dans des cabanes CAS du sommet Weissmies et de la montagne Rugghubel. En hiver, je revenais à l’exploitation.
Ça a l’air d’être une vie bien mouvementée!
Je vis à fond ce qui me convient sur le moment. Je n’ai rien raté et j’ai toujours fait ce qui me plaisait!
En particulier le trekking avec des chèvres?
Oui. Avec ma collègue, Livia Werder, j’ai repris les dix boucs porteurs après l’abandon de la ferme. Nous proposons désormais ensemble les trekkings avec les chèvres.
Le troupeau est toujours le même?
J’ai malheureusement dû abattre un bouc. Il a fini dans mon assiette. Manger la viande des chèvres est pour moi une forme d’estime envers les animaux. Je fais tanner les fourrures. En revanche, trois jeunes boucs ont rejoint le troupeau.
Pour la joie des convives!
Les enfants sont tout particulièrement attachés aux petits chevreaux. Ilias est le chouchou de tout le monde. Il adore être caressé et cajolé. Chaque chèvre a son propre caractère. Klee, par exemple, est le chef du troupeau. Monsieur Nilson, avec ses longs poils blancs, incarne l’élégance. Gino, le grand gris, est responsable des petits. Et Kan aime beaucoup les câlins.
Les chèvres sont cool…
Oui, mais elles peuvent aussi te taper sur les nerfs. En tant que bergère d’alpage, tu dois tout simplement les aimer, sinon tu atteindras un jour tes limites. Il y a bien ce proverbe: si tu n’as pas de soucis, achète une chèvre! (Rires) Et ce n’est pas faux…
Comment se comportent les chèvres?
Mes boucs sont apprivoisés et dressés. Il y a un énorme travail derrière. Dès leur plus jeune âge, ils doivent apprendre à porter une selle pour les bagages. Une fois adultes, ils portent tous les bagages des hôtes: nourriture, ustensiles de cuisine, bâche, sacs de couchage. Ils n’ont donc pas le droit de grignoter le pique-nique des invités pendant les pauses ou de s’enfuir pendant que nous nous reposons.
Quelle charge peuvent-ils porter?
Les animaux entraînés peuvent porter jusqu’à 30% de leur propre poids. Et un grand bouc peut peser jusqu’à 100 kilogrammes. La plupart du temps, je leur fais toutefois porter 15 kilogrammes au maximum.
Qu’est-ce qui fait l’attrait d’un trekking avec des chèvres pour la clientèle?
Un trekking avec des chèvres porteuses est une expérience très variable. Les chèvres sont espiègles, ce qui fait toujours sourire. Elles sont très câlines et apprécient les caresses par-dessus tout. Et pour les enfants, c’est une grande aventure de se promener avec les chèvres. La randonnée devient presque un jeu d’enfant!
Où les chèvres passent-elles la nuit?
Nous dormons à chaque fois sous le campement ou à la belle étoile pour observer la mer d’étoiles. Les chèvres dorment juste à côté de nous. Comme je suis la «chèvre de tête» et pour ainsi dire le cœur du troupeau, elles ne s’enfuient pas pendant la nuit. Elles font peut-être un tour pour manger, mais elles reviennent toujours. Depuis peu, à cause des loups, je les enferme et je les relâche le matin, dès que le jour se lève.
En tant qu’invité, quel est mon rôle avec les chèvres? Dois-je ou puis-je aider?
Si les convives en ont envie, ils peuvent aider à atteler les animaux. Sinon, ils peuvent simplement être là comme des invités et apprécier le fait d’être sur la route avec des chèvres.
Quelle distance parcourez-vous chaque jour?
Cela dépend fortement de la météo: s’il fait chaud, s’il pleut, s’il y a de l’orage… Nous nous adaptons à la clientèle et aux conditions météorologiques. La plupart du temps, nous randonnons toute la journée.
Lorsque tu dois faire les courses, peux-tu «garer» tes chèvres?
Non, ce n’est malheureusement pas possible. Je fais toujours mes courses avant les trekkings, car les chèvres me suivraient et m’accompagneraient dans le magasin. Je trouverais cela cool, mais je ne sais pas ce que les commerçants en penseraient. Je trouverais cela aussi fou de prendre le train avec les chèvres. Elles monteraient tout de suite dans le train et trouveraient ça excitant! (Rires)
Qu’est-ce qui te plait dans le trekking?
C’est tout simplement magnifique de se promener avec les chèvres dans ce magnifique paysage. C’est tellement calme, cela apporte une telle satisfaction. Et cela me comble de voir ensuite les yeux des enfants et des adultes briller!
(Avec la TransaCard toujours gratuit)