Tamar Valkenier
Tamar Valkenier a tout laissé derrière elle: sa maison, son poste de psychologue dans la police, son quotidien à proximité de sa famille et de ses amis. Cela fait six ans que la Néerlandaise est en voyage, la plupart du temps en pleine nature.
Tamar, tu te décris comme une «aventurière à plein temps». À quel point est-il possible d’être aventurière dans le contexte de la pandémie?
Suffisamment. Pendant le premier été de confinement, j’ai longé la côte atlantique en vélo à partir des Pays-Bas jusqu’en France, puis en hiver, j’ai fait la Laponie suédoise en ski et pulka. J’étais chaque fois seule et en extérieur, je faisais donc mes quarantaines en plein air.
Es-tu vraiment en voyage depuis six ans?
Oui. Je n’ai plus de lieu de résidence. Chaque année, je reste une ou deux semaines chez mon père pour voir ma famille et mes amis. Les 50 autres semaines sont consacrées au voyage.
Cela paraît radical. Pourquoi se lancer dans une telle démarche?
Avant cela, je faisais tout ce que la société attendait de moi: j’ai été cuisinière dans un restaurant étoilé, j’ai obtenu mon diplôme en psychologie et criminalité avec mention honorifique à l’université et j’ai continué mes études après cela. Ma vie était parfaite: un travail de rêve au sein de la police nationale néerlandaise, une belle maison, une super moto, des hobbys passionnants. Jusqu’à ce que je me casse le pied lors d’un saut en parachute, que je me retrouve coincée chez moi et que je commence à me poser des questions.
a travaillé dans un restaurant étoilé et comme psychologue dans la police avant de devenir aventurière à plein temps. Elle a écrit un livre retraçant son parcours et ses voyages. Pour en savoir plus sur Tamar et éventuellement avoir la chance de voyager avec elle, il suffit de se rendre sur son site web.
Tu t’es dit que ta vie n’était plus si parfaite que cela?
J’avais toujours objectifs à atteindre. Mais étais-je vraiment prête à faire la même chose jusqu’à la retraite? N’y avait-il pas quelque chose d’autre qui m’attendait? J’avais besoin de prendre une année sabbatique. Mon chef m’a proposé six mois. Après plusieurs nuits sans sommeil, j’ai décidé de poser ma démission. Je voulais me sentir vraiment libre.
«Vraiment libre», qu’est-ce que cela voulait dire pour toi exactement?
Sans travail, sans domicile et avec très peu de possessions. Sans réveil, ni calendrier, ni deadlines. Je voulais me poser les bonnes questions: qu’est-ce qui me manquerait? Ma carrière, mes amis, mon pays? Le fait d’être quelqu’un? D’avoir des objectifs? Et qu’ai-je encore à découvrir? Comment les gens vivent-ils? J’ai commencé par parcourir le monde à vélo pendant deux ans. Puis d’autres idées, d’autres plans et d’autres voyages ont suivi. Un peu comme une expérience qui aurait échappé à mon contrôle.
Une expérience qui t’a emmenée à des endroits très sauvages, notamment en Mongolie...
Oui, un pays gigantesque à la densité de population réduite. Un pays peuplé de nomades dont le mode de vie n’a guère changé ces 1000 dernières années. Quand j’ai vu les hommes partir à la chasse au renard dans les montagnes, à cheval et avec des aigles, j’ai voulu vivre la même chose. J’ai donc dû apprendre à monter à cheval et à parler un peu kazakh.
Comment passe-t-on du statut de touriste à celui de nomade?
Une personne sur Internet m’a mise en contact avec une famille de nomades qui m’a beaucoup appris, notamment à monter à cheval et à dos de chameau, mais aussi comment se comporter avec les aigles. Je suis ensuite partie en solo pendant quelques mois, avec un chameau, un cheval et un chien.
N’avais-tu pas peur d’être seule en Mongolie?
Bien sûr que si (rires). Dans les montagnes de l’Altaï, tu es à 1800 kilomètres du premier hôpital. J’osais à peine monter à cheval. Et si je tombais de la selle? Ai-je assez de provisions? Qu’est-ce que je fais si le chameau se fait la malle avec mes réserves de nourriture? Cinq mois sans supermarché ni douche à traverser des glaciers et de profondes rivières. Même à cheval, ça reste difficile. Je ne savais que peu de choses sur la culture locale. Une nuit, un homme a inspecté ma tente et mes animaux. Il ne s’est rien passé, mais on a souvent peur quand on est dans l’inconnu. Et en même temps, c’est ce voyage, plus qu’aucun autre, qui m’a le plus ouvert l’esprit et mes horizons.
Qu’as-tu ressenti à la fin de ce voyage?
La tranquillité d’esprit. J’ai fait don de mes animaux aux nomades, je suis montée dans le Transsibérien et je me suis dit: «Ouah, c’était parfait. Je peux mourir heureuse. Tout ce qui m’arrive à partir de maintenant, ce n’est que du bonus.» Depuis, je passe quelques mois en Mongolie chaque année, j’ai tissé un lien solide avec cette famille de nomades.
Tu as parcouru 650 kilomètres en Jordanie avec un âne et, une autre fois, tu as traversé les Pays-Bas à dos de chameau. Tu es aussi allée chez des guides spécialistes du monde sauvage au Canada et chez les Maasaï au Kenya pour acquérir des compétences en survie. D’où te viennent toutes ces idées?
Souvent de mes lectures ou de discussions. J’entends parler d’élevage de rennes en Sibérie, je faire quelques recherches, puis je suis prise par l’envie d’y aller et d’y rester un moment.
C’est une idée ou tes excursions deviennent toujours plus longues et extrêmes avec le temps?
Au début, je dormais en camping, puis je me suis mise à sonner chez les fermiers, et maintenant je fais du camping sauvage. Les premières fois dans des endroits sans danger, plus tard dans des réserves de loups et d’ours, car j’adore les observer. J’ai mis plusieurs années à arrêter d’avoir peur de me déplacer librement. Mais je prends aussi moins de risques qu’avant, car je m’y connais de plus en plus dans divers domaines: faire du feu, naviguer, les premiers secours, se nourrir dans la nature. En ce moment, je me prépare pour la traversée du lac Baïkal en hiver. Cela va me prendre plusieurs semaines en patins à glace et pulka. Ce n’est pas sans danger, mais j’ai accumulé de l’expérience pendant mes six mois dans l’Arctique et je me suis bien préparée.
Tu voyages souvent en solitaire, mais ressens-tu de la solitude?
Quand le soleil bat son plein et que tout va bien, je me suffis à moi-même. Malgré tout, il arrive souvent que je pense à mon père quand j’arrive à un bel endroit que j’aurais aimé lui montrer. Mais de manière générale, j’apprécie mes aventures en solitaire. La solitude se ressent lors de mauvaises expériences. En Australie par exemple, j’ai dû me faire opérer et le séjour à l’hôpital a été horrible. Je n’étais sûre de rien, je ne connaissais personne et je n’avais même pas la possibilité d’appeler mes proches. C’est la face sombre du voyage. Mais je ne voyage pas toujours seule, j’ai organisé et réalisé l’une de mes excursions les plus intenses avec une autre aventurière: trois mois à travers les montagnes de Nouvelle-Zélande et sans provisions. Nous voulions voir si nous étions capables de survivre à partir de ce que nous trouverions dans la nature.
Vous aviez donc des équipements de pêche et de chasse?
En temps normal, je suis végétarienne. Mais dans ces montagnes, il n’y a clairement pas suffisamment de baies et de plantes comestibles pour survivre. Après une semaine, nous avons abattu un cerf. Mais nous n’avions pas de quoi conserver la viande. Nous avons donc dû rester au même endroit pendant plusieurs jours, le temps de préparer la viande et de tout manger. Par la suite, nous n’avons chassé que du petit gibier, comme des lapins ou des rats marsupiaux. J’ai fait frire de la cervelle et bouillir de la langue. Miriam, ma camarade, préférait les testicules de lapin. Mais il y a aussi eu des jours de disette au cours desquels nous étions à peine capables de porter les 25 kilogrammes de nos sacs à dos.
Combien de fois t’a-t-on dit que tes excursions sont trop dangereuses?
La plupart du temps, les gens me disent de me méfier des autres. Longtemps, j’ai préféré ne pas parler de mes mauvaises expériences, car je ne voulais pas donner raison à ce genre de personnes. Évidemment que j’ai expérimenté des choses désagréables en six années: des blessures, du stress émotionnel, mais aussi des hommes intrusifs. Il n’a pas toujours été facile de me sortir de ces situations.
Y a-t-il des stratégies pour y parvenir?
Bien sûr. Par exemple, je dispose chaque fois d’un moyen de transport, que ce soit mon vélo, un cheval ou autre, pour ne pas dépendre des autres. Ma propre tente, ma nourriture, mon eau. Je suis indépendante et j’écoute mon intuition quand je me demande si je peux faire confiance à quelqu’un. En Mongolie, je me suis blessée et j’ai trouvé une infirmerie dans un village. Une personne a voulu me recoudre, mais le lieu me semblait manquer d’hygiène et ne m’inspirait pas confiance. Je ne voulais en aucun cas risquer une infection. J’ai donc décidé d’acheter des bandages et de me soigner ailleurs.
As-tu suivi une formation médicale?
En Tasmanie, un compagnon de voyage a eu une réaction allergique. De même, en Mongolie, j’ai été témoin de l’accident de voiture d’une famille. Et je me suis moi-même fait quelques fractures. Pour aider les autres – et m’aider moi-même – du mieux que possible, j’ai donc décidé de suivre divers cours de premiers secours dans la nature et de compléter mon équipement. Cela m’a notamment permis de venir en aide à un guerrier Maasaï qui s’était brûlé ainsi qu’à des locaux grâce à mon téléphone satellite. Aujourd’hui, je suis également monitrice de survie et j’enseigne aux gens comment se débrouiller dans la nature.
Tes connaissances de psychologue dans la police te sont-elles d’une quelconque utilité dans tes voyages?
Mon travail auprès de meurtriers et de délinquants sexuels m’aide sans doute à anticiper les situations dangereuses et à m’en sortir. Mais la recherche occidentale sur le sujet ne s’applique pas vraiment à d’autres cultures. Je disais toujours que la technique la plus importante est de savoir comment créer des amitiés. Assure-toi de te faire apprécier par les gens sur place. Si tu montes ton camp à proximité de nomades, va leur dire bonjour. Présente-toi et offre des biscuits et des ballons de baudruche aux enfants. Demande si ta présence ne dérange pas. Si les gens sont de ton côté, ils ne te feront rien. Au contraire, ils te protégeront. Telle est ma stratégie.
Quels équipements prends-tu avec toi?
Je préfère ne prendre qu’un petit sac à dos. Mon téléphone satellite constitue mon seul équipement technologique. En dehors de ça, j’ai toujours une carte, une boussole, une pierre à feu, un sac de couchage et une bâche, parfois aussi une tente et même une guitare. J’ai réduit le nombre de choses que je prends avec les années. J’essaie d’utiliser ce qui m’entoure, par exemple de bricoler un abri, de faire du feu ou encore d’aller cueillir des champignons et des plantes pour me nourrir. Mais tout est relatif. Les Maasaï passent sept ans dans la brousse pour apprendre à vivre dans la nature et à se défendre contre les animaux. L’année dernière, lorsque j’ai déballé mon équipement minimaliste devant eux, ils ont explosé de rire: «Ça te sert à quoi tout ça?» Pour eux, une couverture, une lance et une machette suffisent.
Comment gères-tu tes finances?
Je n’ai presque pas de dépenses, je ne paie pas de loyer et je n’ai pas d’abonnement téléphonique. Je n’ai que des assurances maladie et voyages, cela représente environ 1500 euros par an. Je gagne un peu d’argent grâce à mes conférences et aux articles que je rédige, parfois je prends des gens avec moi et je leur enseigne quelque chose au cours du voyage, que ce soit à faire un trek en solo en Mongolie ou une excursion dans le désert. J’ai même déjà accompagné des banquiers dans l’Himalaya. Et j’ai bon espoir que mon livre rapporte un peu aussi.
Racontes-tu tes voyages dans ton livre?
Oui, mais pas seulement. Je parle aussi beaucoup de moi-même. J’explique comment cette jeune citadine qui souffrait de crises de panique a réussi à surmonter ses peurs et voyage à travers le monde aujourd’hui. Je décris ce que ça fait que de n’avoir ni travail ni domicile, d’être une femme qui voyage seule, d’avoir faim, de tuer un animal, d’être une nomade, de tisser un lien avec les animaux. J’aime partager mon expérience sur tous ces sujets.
Cela te fait-il plaisir quand tu inspires d’autres personnes?
Bien sûr. Dernièrement, une journaliste me disait que sa voiture lui donnait la liberté d’aller n’importe où, n’importe quand. Je lui ai demandé combien de temps elle devait travailler pour financer sa voiture. Elle s’est rendu compte que deux heures de travail lui permettaient d’économiser 20 minutes dans les transports en commun. «Zut», a-t-elle dit, «je n’ai plus qu’à vendre ma voiture maintenant». J’adore remettre les choses en question.
Tu as 34 ans. Où seras-tu dans dix ans?
Je serai peut-être en train de former des équipes médicales d’urgence en Tanzanie ou éleveuse de chameaux en Mongolie. Ou peut-être que j’aurai des enfants et que je serai repartie vivre chez moi aux Pays-Bas. Je n’en sais rien et j’aime ce côté imprévisible de ma vie. Je ne veux pas savoir ce que l’avenir me réserve.
(Avec la TransaCard toujours gratuit)