Michael Neumann
Bienvenue dans la jungle. L’île volcanique de La Réunion, située dans l’océan Indien, est une région de trekking paradisiaque pour les bourlingueurs et bourlingueuses en bonne condition physique qui n’ont pas le vertige.
Le premier grand voyage, c’est un peu comme le premier amour: on ne l’oublie jamais. J’ai eu très tôt un coup de cœur pour une île tropicale de l’océan Indien, accessible par vol intérieur depuis Paris. Cet endroit magnifique est La Réunion. C’est un département français d’outre-mer, près de Madagascar. J’y suis allé pour la première fois au milieu des années 1990 avec un groupe de kayakistes. J’avais dans la vingtaine. Nous avions entendu dire qu’en janvier/février, la saison des pluies transformait les rivières, dont certaines ne mesuraient que 20 kilomètres de long, en torrents impétueux sur cette terre ovale d’à peine 50 sur 70 kilomètres. Nous n’avions pas beaucoup d’informations, simplement une vidéo d’un groupe de pagayeurs italiens, qui étaient probablement les premiers à faire du paddle en eau vive sur l’île, apportant un peu de lumière dans l’obscurité. L’un des participants y exprimait avec justesse les charmes de l’île: «Come la corsica ai tropici», comme la Corse sous les tropiques. L’île méditerranéenne était à l’époque le lieu de rencontre des kayakistes européens. Sauf qu’à Pâques, lorsque les ruisseaux regorgeaient d’eau en raison de la fonte des neiges, il faisait encore souvent un froid glacial. Qu’y a-t-il de plus beau qu’une eau vive parfaite par 30 degrés et sous le soleil? Le soleil, je vous l’avoue, n’a été que sporadique lors de mon premier voyage. En revanche, il pleuvait à verse, comme nous le voulions.
Nous profitions des jours secs pour faire des randonnées à l’intérieur de l’île. Et celles-ci nous ont autant charmés que les rivières. Les trois cuvettes crevassées, regroupées autour du Piton des Neiges, à plus de 3000 mètres de hauteur au centre de l’île, sont un paradis pour un trekking exceptionnel. Nombreux sont ceux qui vous le diront: s’y rendre pour marcher plusieurs jours dans la jungle avec son sac à dos, même sans kayak, en vaut la peine.
Les années suivantes, j’ai eu du mal à me détacher de mon premier amour. J’ai eu deux autres rendez-vous avec la saison des pluies. J’avais pris la précaution de laisser mon kayak sur place, mais il me restait trop peu de temps pour faire de la randonnée.
25 ans plus tard. Une quatrième fois pour le plaisir. À la mi-novembre, j’atterris à l’aéroport, près du chef-lieu, Saint-Denis. Selon le siège, il est déjà possible de voir complètement l’île volcanique. On se demande inévitablement ce qu’il est possible de faire pendant deux semaines sur cette petite tache perdue dans l’océan. Mais il ne faut pas s’arrêter à son apparence. Sous ses fissures, l’île est bien plus grande.
L’île s’est formée il y a environ trois millions d’années, lorsque le volcan du Piton des Neiges a surgi du fond de l’océan. Alors que le point chaud responsable de ce phénomène n’a plus bougé, l’île s’est lentement déplacée au-dessus de celui-ci et s’est constamment agrandie. Aujourd’hui, la montagne enneigée s’est éteinte, mais le Piton de la Fournaise, tout au sud, remporte régulièrement le titre d’un des volcans les plus actifs au monde.
Il est d’ailleurs possible de s’imaginer à quoi ressemblera la Réunion dans dix millions d’années en observant sa voisine plus âgée, l’Île Maurice. Le volcan y est éteint. Le vent et l’eau ont érodé les montagnes autrefois d’une hauteur de 800 mètres et en ont lissé les contours.
Nous partons dans la triste grisaille de novembre, sous des températures proches de zéro. Le contraste ne peut pas être plus grand alors que mes compagnons de voyage et moi-même quittons le bâtiment climatisé de l’aéroport. Le taux d’humidité élevé et les 28 degrés demandent un certain temps d’acclimatation avant que nous puissions enfiler nos chaussures de randonnée. Nous commençons par plonger nos pieds dans l’océan Indien et par admirer un premier coucher de soleil. Nous partons ensuite avec notre voiture de location sur une route de montagne sinueuse en direction du Piton Maïdo. Nous passons de 0 à 2190 mètres et de 28 degrés à 8 degrés en environ 45 minutes. Une fois arrivés là-haut, nous étendons nos sacs de couchage dans une cabane de pique-nique, regardons un ciel étoilé spectaculaire et frissonnons un peu avant de nous endormir.
Le lendemain matin, dans la pénombre, je guide Marianna et Jobst quelques mètres plus loin, jusqu’à une arête rocheuse. La vue s’étend jusqu’au cirque de Mafate. Le silence s’installe. La cuvette sans route, dans laquelle quelques petits hameaux trônent sur de minuscules balcons ensoleillés, est traversée par des gorges de plusieurs centaines de mètres de profondeur. C’est le paradis par excellence pour la randonnée en Réunion et il se trouve au sommet de notre liste de choses à faire. Toutefois, nous nous rendons vite compte, dans le cirque du Mafate, qu’aucune route n’est plate. Ainsi, même si notre objectif semble être à portée de main, deux petites gorges peuvent représenter encore 1000 mètres de dénivelé et trois heures de marche.
Mais comme le temps est actuellement plus humide que d’ordinaire pour cette époque de l’année, nous devons d’abord cuire des petits pains. Jusqu’à midi, le temps est généralement ensoleillé et il n’y a parfois pas de nuages. Toutefois, des nuages à développement vertical se forment rapidement et, en un rien de temps, il pleut à verse. En fin d’après-midi, le soleil perd à peine de son éclat alors que la pluie cesse. Ne reste que les chemins de randonnée boueux et une jungle fumante. Grâce à ces averses, nous voyons de quelles prouesses La Réunion est capable en période de pluie. Aucun endroit n’accumule autant de pluie en si peu de temps. Le 16 mars 1952, on a mesuré 1870 millimètres de pluie en 24 heures sur la côte est. En 2007, on a mesuré 3929 millimètres de pluie en l’espace de trois jours. En comparaison, la Suisse a une moyenne annuelle des précipitations d’environ 1000 millimètres.
Pour arriver sur l’île, nous passons par Paris, d’où part le vol intérieur. Le changement d’aéroport au sein de la ville, de Charles de Gaulle à Orly, habituellement si pénible, n’est généralement plus nécessaire en raison des changements d’horaires de vol.
Le meilleur moment pour y voyager est de mai à novembre, même si ce dernier mois a été beaucoup plus humide que d’habitude, lors de notre voyage.
Une première excursion d’une journée nous mène de la fin de la route à la gorge de Takamaka. Des cascades se jettent de toutes parts dans une vallée profonde dont nous ne pouvons que deviner l’issue. Les sentiers de randonnée sont rarement empruntés et la végétation provoquent très vite de petites coupures et écorchures. En revanche, au cours de la randonnée, nous ne rencontrons personne et avons également rien que pour nous la piscine chauffée à la fin de notre sentier, dans laquelle gronde une autre chute d’eau.
Suivent trois autres randonnées d’une journée à ne pas manquer: le «Trou de Fer», le volcan Piton de la Fournaise et «La Chapelle». Cette chapelle a été creusée à des centaines de mètres de profondeur dans la roche basaltique par le petit ruisseau Bras de Cilaos et, lorsque vers 11 heures, les rayons du soleil tombent de la fissure, la chapelle se transforme même en cathédrale.
Comme la météo n’est toujours pas au rendez-vous, nous retirons en urgence le Mafate de la liste des grandes finales du voyage. Mais nous ne voulons pas manquer le Piton des Neiges, point culminant de l’île avec ses 3069 mètres d’altitude. Les sacs à dos bien remplis, nous montons du cirque de Cilaos au gîte du Piton des Neiges. Le chemin mène presque en ligne droite vers les hauteurs en passant à travers une forêt tropicale mystique. Lorsque nous arrivons au gîte, la pluie de l’après-midi s’abat et deux heures durant, il pleut des cordes. Mais contrairement aux deux douzaines d’autres randonneurs présents au refuge, nous savons, grâce à l’expérience de ces derniers jours, qu’après la pluie, vient le beau temps. Ainsi, une heure et demie avant le coucher du soleil, trempés, nous marchons à travers les nuages en direction du sommet. Il y a 1700 mètres de dénivelé entre la vallée et le toit de l’océan Indien.
En cours de route, nous nous retrouvons face à de véritables torrents, mais lorsque nous atteignons le sommet, vers 17 heures, le ciel commence à s’éclaircir. Et comment! Dans les cuvettes de la vallée, les nuages bouillonnent comme si le diable y réchauffait une petite soupe. Des lambeaux s’en détachent régulièrement, s’élèvent et disparaissent en quelques secondes dans l’atmosphère, sous forme de vapeur d’eau. De la pluie pour demain? Même le soleil se montre un dernier instant et plonge ce décor surréaliste dans une lumière dorée. C’est l’heure de défaire nos sacs à dos. Au lieu de redescendre vers le refuge à la tombée de la nuit, nous montons nos tentes. Moins d’une heure plus tard, nous nous couchons dans le duvet. Le ciel est dégagé et les températures descendent jusqu’à zéro. Nous envisageons de mettre les trois paires de chaussettes que nous avons encore dans notre sac à dos. La «Corsica ai tropici», c’est sûr, ce n’est pas ça là-haut, mais nous sommes quand même amoureux de cette île.
(Avec la TransaCard toujours gratuit)